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Concert d'ouverture

J. Brahms, C. Lengagne, R. Schumann
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4 juillet 2025
Clock
18:00
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Église Saint-Eustache de La Feuillie

Description

Quintette pour piano et cordes en fa mineur, op. 34 Composé entre 1862 et 1864 Avant 1842 : l’art des formes brèves Au début de l’année 1842, Schumann est devenu un maître du fragment. À l’exception de ses premiers essais dans le domaine symphonique, il n’a composé que des œuvres pour piano ou pour chant, qui toutes, à l’exception de la Fantaisie et de ses Sonates pour piano, se sont tenues à l’écart des « grandes » formes. Son art est celui du « feuillet d’album », de la courte « scène » (Scènes d’enfant), des collections de courtes « pièces » (Papillons, Intermezzi, Impromptus, Nachtstücke, Blumenstück, Bunte Blätter), de cycles fantasques (Carnaval, Danses des compagnons de David, Humoresque). L’année 1840 fût celle de la poésie : Heine, Rückert, Eichendorff. Grand lecteur des auteurs de son temps, Schumann a ainsi traduit en musique les écrivains et philosophes du cercle de Iéna, ce collectif regroupé dans la revue de l’Athenaeum (les frères Schlegel, Novalis, etc.) qui définirent les contours de ce que l’on nomme aujourd’hui le « premier romantisme allemand ». L’art du fragment y était devenu une valeur esthétique autant que philosophique. Il donnait le privilège au jaillissement de la pensée plutôt qu’aux lentes démonstrations, aux courts-circuits poétiques plutôt qu’aux déploiements rhétoriques, au jeu dense des associations immédiates plutôt qu’au ciselage des lentes constructions. Toutes ces formes faisaient le choix de la vitesse et assumaient une certaine incomplétude. Ainsi seulement le langage pouvait-il viser l’infini, ce centre tout à la fois intime, secret, et toujours inatteignable, extérieur. Toute l’écriture de Schumann s’est concentrée sur ce sens aigu de la fugacité. Et tout son langage s’est élaboré à partir de cette double nécessité : la discontinuité (plus volontiers que le développement) et la densité (au détriment volontaire des grandes articulations du discours, tenues désormais pour artificielles et factices). Sous sa plume, l’harmonie s’est intensifiée, les accords sont devenus plus complexes, les modulations incessantes et les lignes mélodiques plus sinueuses. En prenant exemple sur la poésie, il était parvenu à aller plus loin qu’elle. Car la musique, plus polyphonique, plus plastique et plus dense, parvenait à en dire plus que le langage, comme elle parvenait aussi à signifier tout ce qui se jouait au-delà du langage. La « langue » de Schumann parlait plus intensément que toute autre, et parvenait à faire sentir aussi tout ce qui, à son bord, resterait ineffable. La brièveté et le sens du fragmentaire furent la condition nécessaire de cette nouvelle expressivité – viser juste, sans détour, par effets de ruptures ou de superpositions, sans que l’élaboration ne vienne ternir la force brute de l’élan, sans que la démonstration ne vienne affaiblir la vivacité immédiate de l’humeur. 1842 : le surgissement de la musique de chambre Mais voilà qu’en 1842, Schumann s’empare d’un registre radicalement nouveau pour lui : l’art du quatuor à cordes, une forme devenue noble pour les compositeurs de son temps, mais aussi le lieu par excellence des exigences de structure. Il y réfléchit en réalité depuis 1838, et étudie les grands maîtres classiques du genre : Mozart et Beethoven. La maturation est lente, mais l’éclosion est presque frénétique. Il lui suffit d’un été pour achever ses trois quatuors. Et aussitôt, il enchaîne avec le Quintette, très tôt suivi par le Quatuor avec piano. La question qui se pose à lui est aiguë : comment concilier son langage propre, cet art si ramassé du « feuillet » et du « carnaval », avec la composition de formes de grandes ampleurs, dont les exigences sont nécessairement architecturales ? Et comment, surtout, passer des formes intériorisées à voix subjective (ce « Je » qui chante les Lieder et qui parle au piano) à ce discours pluriel propre à la musique de chambre ? Chez Schumann, la question n’est pas exclusivement esthétique. Elle est plus intime. Car c’est tout son être qui doit se confronter à la difficulté, lui qui a trouvé dans la disjointure heurtée des pièces brèves un mode d’expressivité si naturel, si évident à son tempérament divisé et polarisé, bousculé d’une humeur à l’autre. Comment concilier ce qui devrait se diffracter, et osciller sans conciliation possible entre les extrémités – de la vivacité exubérante de Florestan aux rêveries parfois les plus sombres d’Eusébius, ces deux noms dont il signait ses œuvres ou ses articles ? Pour Schumann, assumer l’héritage beethovénien et se mesurer à l’ampleur organisée des formes développées était une gageure tout à la fois compositionnelle et personnelle. Il ne s’agissait pas simplement d’acclimater le langage des instants fugaces à l’élaboration rigoureuse de nouvelles structures, mais avant tout de faire tenir ensemble les pôles divisés de son être, de réaliser leur intégration réciproque. Le Quintette, ou l’œuvre heureuse Le ton jubilatoire qui se dégage du Quintette en est le témoignage le plus éloquent. Schumann, événement rare dans son œuvre comme dans sa biographie, parvient à composer l’unité, mais sans trahir les disjointures qui sont les siennes. Tout comme il parvient à tenir ensemble les fonctions divergentes de la musique de chambre de son temps, encore marquée par l’intimisme des salons mais déjà ouverte aux dimensions nouvelles de la grande salle de concert (ce Quintette sera créé au Gewandhaus de Leipzig). Le lyrisme secret des Lieder, qui affleure dans de nombreux thèmes côtoie donc l’esprit concertant de la forme, comme si l’espace privé et l’espace public s’emboîtaient sans heurts, comme si Florestan et Eusebius, les deux pôles de la division schumanienne, avaient enfin réussi à fonctionner ensemble, au lieu de s’opposer et de s’interrompre l’un et l’autre au gré capricieux des humeurs. Le premier mouvement, à ce titre, est un coup de maître. Il commence « grand ouvert » : la puissance du piano romantique est redoublée par la masse du quatuor à cordes, le rythme est volontaire. Mais aussitôt le phrasé s’infléchit, et le thème se met à chanter comme avait chanté jusqu’alors la voix des Lieder, intime et réservée. L’exubérance rythmique et collective fait ainsi place à une ligne plus expressive, qui bientôt se mettra en dialogue d’un instrument à l’autre. Aucune rupture de construction cependant, et c’est là toute la nouveauté pour Schumann. Car l’unité compositionnelle fait tenir ensemble les deux plans, les deux affects. La forme passe de l’un à l’autre sans rien perdre de sa cohérence. La division schumanienne découvre ainsi un nouveau mode d’expression. Car passant ainsi d’un instrument à l’autre, elle se pluralise sans plus se disperser. Elle devient polyfocale, elle parle à plusieurs voix. Et passant d’un registre à l’autre, de Florestan à Eusebius, de la puissance sonore aux couleurs les plus intériorisées, elle apprend aussi à s’infléchir. Elle fait l’expérience de ses propres transitions aux lieux d’éclater en multiples images, séparées et isolées. L’élan dynamique semble s’être réconcilié avec l’art des modulations les plus divergentes, tandis que l’art expressif de la mélodie s’accommode à son tour de la pulsation interne du mouvement, qui jamais ne se relâche. On croirait que Florestan a appris à rêver, et qu’Eusebius enfin accepte d’entrer dans la danse. Le mouvement suivant (In modo d'una marcia, un poco largamente) pourrait laisser penser que le répit n’était que de courte durée. Il s’ouvre sur une marche quasi funèbre, hommage à Schubert bien sûr, dont Schumann avait tant joué et aimé le second Trio. Eusebius pourrait avoir fait taire Florestan, et la division à nouveau pourrait reprendre la main sur la composition. Mais là encore, les deux faces schumaniennes parviennent à s’accorder, à travailler ensemble sans pour autant s’atténuer. Car au centre du mouvement, l’énergie rythmique de Florestan reprend le dessus sans interrompre ce qui avait précédé. Bien au contraire, Florestan prolonge et déploie le ton d’Eusebius. L’intensité dynamique renforce la suspension méditative du début, et vice versa. Le discours chambriste trouve ainsi sa raison d’être : même dans l’expressivité la plus douloureuse, tous les fils se tiennent et se renforcent réciproquement, le rythme et le lyrisme, l’élan et l’intériorité, l’expansion et le repli. La jubilation qui éclate dans les deux mouvements suivants (Scherzo : molto vivace et Finale : Allegro ma non troppo) est-elle à entendre comme une célébration de cette possible réconciliation ? Tout se passe comme si le Quintette était, bien plus qu’une convention d’effectif, une solution d’équilibre. C’est-à-dire comme si Schumann avait ainsi trouvé, dans l’association harmonieuse et pourtant individualisée des quatre instruments à cordes et du piano, la possibilité d’un équilibre, comme si la pluralité essentielle à son expressivité avait enfin trouvé le moyen d’échapper à la diffraction et découvrait ses possibilités de dialogue. Cette diffraction continue de menacer, et Schumann, nous le savons n’en réchappera pas. Elle a donné lieu à ses plus puissants chefs d’œuvres. Il faut cependant se souvenir qu’il arrivait aussi au compositeur d’échapper à ses démons et de s’en réjouir. Verena Meyer Lorsqu’on évoque les sommets de la musique de chambre romantique, le Quintette en fa mineur de Brahms figure immanquablement parmi les chefs-d’œuvre. Ce n’est pas une œuvre née d’un seul jet, mais le fruit d’un long processus de maturation. D’abord imaginé comme une sonate pour deux pianos, puis transformé en quintette à cordes, il trouve sa forme définitive – pour piano, deux violons, alto et violoncelle – en 1864, grâce notamment aux conseils de Clara Schumann, muse et amie fidèle du compositeur. Cette œuvre impressionne par son souffle dramatique, son intensité émotionnelle et sa richesse architecturale. Brahms y déploie une maîtrise rare de la forme et du contrepoint, tout en explorant les contrastes les plus profonds entre lyrisme, tension rythmique et expressivité passionnée. Le premier mouvement, Allegro non troppo, s’ouvre par un thème puissant, sombre et solennel. Le dialogue entre le piano et les cordes est tendu, presque orchestral par moments, dans une forme sonate étendue aux proportions quasi symphoniques. Le second mouvement, Andante un poco adagio, apporte un apaisement temporaire. Le climat y est plus introspectif, presque suspendu, empreint d’un lyrisme doux-amer et d’une grande poésie. Le troisième mouvement, Scherzo: Allegro, est l’un des plus impressionnants de tout le répertoire brahmsien. Énergique, nerveux, presque menaçant, il contraste avec un trio central plus apaisé, avant de replonger dans une conclusion saisissante. Enfin, le finale, précédé d’une introduction lente (Poco sostenuto), est à la fois tendu et vigoureux. Dans un élan inexorable, Brahms y fait converger les tensions accumulées vers une coda dramatique d’une rare intensité. Ce quintette est bien plus qu’une œuvre de musique de chambre : c’est une véritable fresque tragique et passionnée, où s’exprime toute la profondeur émotionnelle et la complexité intérieure d’un Brahms alors âgé de 30 ans. Il s’agit sans conteste de l’un de ses sommets créatifs, alliant l’héritage classique à une puissance émotionnelle pleinement romantique.

Programme

  • J. Brahms

    Quatuor pour piano et cordes N°3 en do mineur
    Kerson Leong, violon ; Paul Zientara, alto ; Henri Demarquette, violoncelle ; Victor Demarquette, piano
  • C. Lengagne

    Dialogues pour violoncelle et piano (création mondiale)
    Henri Demarquette, violoncelle ; Victor Demarquette, piano
  • R. Schumann

    Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur
    Kerson Leong et Daniel Neuburger, violon ; Paul Zientara, alto ; Cyprien Lengagne, violoncelle ; Victor Demarquette, piano